L’IA chinoise Manus est un agent conversationnel multi-agent développé par la startup Monica. Conçue pour planifier, exécuter et coordonner des tâches complexes de manière autonome, cette IA générative bouscule les codes traditionnels et affiche des performances impressionnantes. Mais derrière ses prouesses techniques se cachent de vraies questions géopolitiques…
L’intelligence artificielle ne connaît pas de frontières, mais elle révèle celles du pouvoir. En mars 2025, une IA venue de Shanghai affole la techosphère : Manus, développée par la startup Monica (aussi connue sous le nom Butterfly Effect AI), surgit avec une ambition claire. Elle veut devenir le premier agent autonome grand public à rivaliser avec ChatGPT… et à le dépasser. Capable de planifier, exécuter et finaliser des tâches complexes sans supervision, elle est saluée par certains comme la première IA réellement « agentique » à grande échelle.
Mais Manus, ce n’est pas qu’une prouesse technologique. C’est aussi une aventure géopolitique, une question d’ouverture (vraie ou simulée), un casse-tête réglementaire et un défi lancé à l’Occident. Car cette IA, née en Chine, se retire quelques mois plus tard du marché chinois, pour se repositionner à Singapour et séduire les développeurs… du monde entier.
Un lancement aussi fulgurant que mystérieux
L’histoire commence à Shanghai, dans les bureaux encore confidentiels de Monica AI, une jeune pousse fondée par d’anciens chercheurs en intelligence artificielle, formés aussi bien en Chine qu’aux États-Unis.
Le 6 mars 2025, Monica lance Manus en version alpha… sur invitation uniquement. En quelques jours, elle reçoit plus de deux millions de demandes d’accès. Le buzz est alimenté par les réseaux sociaux chinois avant de s’étendre à X (ex-Twitter), Reddit et LinkedIn. Dès les premiers retours, l’enthousiasme est palpable. Certains influenceurs tech parlent de « moment DeepSeek bis », en référence à l’autre IA chinoise qui avait brièvement électrisé la scène en 2024.
Mais contrairement à DeepSeek, Manus ne se limite pas à un chatbot dopé : elle combine plusieurs IA en un système d’agents autonomes capables d’interagir entre eux pour résoudre des problèmes complexes. La communication de Monica est millimétrée. La startup ne cache pas ses ambitions internationales, se présente comme « open source friendly » et affirme vouloir « bâtir le futur de l’assistanat IA, au service des créateurs, développeurs et entreprises ».
Mais sous cette façade d’ouverture, une première ambiguïté pointe : où s’arrête l’innovation… et où commence le storytelling ? Car la Chine soutient d’abord largement le projet. Manus est mise en avant dans un reportage de la chaîne d’État CCTV, un signe rare. Mais le vent tourne rapidement.
En l’espace de quelques mois, tous les comptes de l’IA sur les réseaux chinois sont supprimés, et Monica annonce son retrait du marché domestique. Officiellement ? Pour des « raisons de scalabilité internationale ». Officieusement ? Le flou règne. Mais une chose est sûre : Manus a changé d’échelle, et peut-être de stratégie.
Une architecture multi-agent taillée pour l’autonomie
Ce qui distingue Manus des autres IA génératives, ce n’est pas simplement la qualité de ses réponses, mais la façon dont elle pense ses actions.
Là où ChatGPT ou Claude agissent comme des oracles, générant une réponse à chaque prompt, Manus fonctionne davantage comme un chef de projet numérique. Elle ne se contente pas d’exécuter une commande : elle décompose, planifie, délègue à d’autres agents, et supervise l’ensemble du processus.
Cette prouesse est rendue possible par une architecture multi-agent et multi-modèle impressionnante. Manus repose sur un orchestrateur principal qui s’appuie à la fois sur des modèles tiers, comme Claude 3.5 Sonnet ou Qwen d’Alibaba, et sur ses propres agents spécialisés.
Par exemple, si on lui demande de créer un plan marketing pour une application, elle va générer une stratégie globale, confier la rédaction à un agent copywriting, déléguer les visuels à un module image-to-prompt, et même effectuer des recherches web si besoin.
Cette approche modulaire permet à Manus de briller sur les tâches complexes. Automatiser une chaîne d’e-mails, organiser un voyage avec contraintes, gérer un budget sur plusieurs mois… Le tout, dans un unique prompt, sans relance intermédiaire. Là où les modèles traditionnels simulent une intelligence, Manus simule un collectif intelligent.
Performances : le meilleur des agents IA ?
Sur le papier, Manus ne se contente pas d’avoir une belle architecture. Elle affiche aussi des résultats de premier plan. Le benchmark le plus marquant reste celui du GAIA (General Agent Intelligence Assessment), un test de référence pour mesurer les capacités d’agents IA à résoudre des tâches variées, à long horizon. Sur ce test, Manus décroche 86,5 % de réussite. Elle surpasse GPT-4, Claude 3.5, DeepResearch (OpenAI) ou h2oGPTe.
Mais la vraie révolution arrive fin juillet 2025 avec le lancement de Broad Research : une version de Manus capable de coordonner plus de 100 agents simultanés sur une tâche. Pour caricaturer : c’est comme si vous aviez une mini-entreprise virtuelle, où chaque agent joue un rôle précis (rédaction, synthèse, fact-checking, planification…) sous la direction d’un manager digital. Ce système, salué par certains comme un « game-changer absolu », illustre le passage de l’IA générative à l’IA organisationnelle.
Malgré ces exploits, quelques voix tempèrent l’enthousiasme. Plusieurs bêta-testeurs évoquent des erreurs répétées dans les chaînes de raisonnement, des hallucinations subtiles, ou des agents qui se répondent en boucle sans livrer de livrable clair. Autrement dit : le potentiel est là, mais la fiabilité n’est pas encore au niveau des promesses. Cela n’a pas empêché Manus d’être propulsée comme l’IA « la plus avancée au monde » par certains analystes, notamment chez Hugging Face. Un superlatif qui, comme souvent en IA, en dit autant sur la technonologie… que sur la bataille de communication autour d’elle.
Un assistant IA qui sait aussi créer des images
Outre ses agents textuels, Manus est aussi capable de fusionner texte et image au sein d’un même processus. Là où ChatGPT ou Gemini nécessitent encore une séparation entre prompt visuel et logique de workflow, Manus intègre nativement une fonction d’illustration automatisée, pensée pour les usages concrets.
Prenons un cas simple : vous demandez à Manus de vous créer un menu pour un restaurant fictif. L’IA vous livre un branding complet : noms de plats, ton marketing, slogans, accompagné d’un logo original, d’une palette de couleurs, voire d’illustrations correspondant à l’ambiance du lieu. Le tout généré en un seul flux, sans bascule manuelle entre outils. Les premiers testeurs saluent notamment la cohérence visuelle avec les textes, la capacité de l’IA à recycler ses propres outputs pour nourrir les visuels, et un véritable « sens du produit » dans les rendus finaux.
Côté technique, cette fonction repose probablement sur une intégration hybride : une base diffusion-based (type Stable Diffusion, Qwen-VL ou modèle propriétaire) supervisée par les agents de Manus, eux-mêmes chargés d’adapter les consignes aux formats d’image. Ce n’est pas encore du niveau d’un Midjourney, mais l’intérêt est ailleurs. Manus ne cherche pas à devenir l’IA la plus artistique : elle veut être l’IA la plus utile. Et à ce jeu, la capacité à créer du contenu multimodal fluide, contextuel et pilotable en langage naturel… est une arme redoutable.
Une IA open source… sous conditions
L’un des arguments marketing les plus martelés par Monica AI dès le lancement de Manus tient en deux mots : open source. Une promesse qui sonne comme un pied de nez aux géants américains, souvent accusés d’opacité, et comme un clin d’œil appuyé à la communauté tech internationale. Mais dans les faits, l’ouverture de Manus s’apparente davantage à une vitrine qu’à une porte d’entrée.
Certes, Monica a publié des éléments techniques : documentation, interface API, intégrations GitHub, exemples d’agents. Mais le code source complet, le dataset d’entraînement, les logs de fonctionnement ou les méthodes de fine-tuning restent inaccessibles.
À cela s’ajoute une licence floue, sans clause claire sur les usages commerciaux, ni garantie de mise à jour continue. On est donc loin de la transparence radicale d’un Mistral ou des engagements progressifs de Meta avec LLaMA.
L’ouverture revendiquée par Manus s’apparente plus à une stratégie d’acquisition de confiance, destinée à séduire les développeurs… sans réellement leur confier les clés. Et c’est là que le positionnement devient ambivalent. Car dans l’univers open source, la confiance ne se décrète pas. Elle se prouve.
En multipliant les déclarations d’intention tout en gardant le cœur de l’IA fermé, Monica brouille les lignes. S’agit-il d’une ruse pour gagner du terrain avant d’ouvrir vraiment ? Ou d’un storytelling bien huilé pour dissimuler une logique propriétaire ? Pour l’instant, les paris sont ouverts.
Censure, alignement et régulation : la face cachée de Manus
L’autre zone grise, plus politique celle-ci, touche à l’alignement idéologique de Manus. Car la Chine ne laisse rien au hasard quand il s’agit de contenu généré par IA.
Depuis 2023, plusieurs lois encadrent strictement la diffusion d’informations considérées comme sensibles, dangereuses ou contraires aux « valeurs socialistes fondamentales ». Dans ce cadre, Manus est pensée pour fonctionner dans les limites imposées par Pékin : les requêtes liées à la politique chinoise, aux droits de l’homme, à l’histoire du Parti ou aux mouvements contestataires sont automatiquement rejetées ou reformulées. Même le ton des réponses semble calibré pour éviter tout débordement. L’IA est donc, par défaut, idéologiquement neutralisée.
Et pourtant, rebondissement inattendu : en juillet 2025, Monica coupe tous ses canaux de communication en Chine. Comptes supprimés sur WeChat, Weibo, Douyin… Plateforme Manus déclarée indisponible depuis le territoire chinois. La startup déménage son siège à Singapour, et la collaboration initiale avec Alibaba pour une version « localisée » de Manus est mise en pause. Ce repli soulève de nombreuses hypothèses. S’agit-il d’un simple repositionnement stratégique, pour viser un public global ? D’un désaccord discret avec les régulateurs chinois ?
D’une tentative d’échapper à la censure ? Ou, plus cyniquement, d’une mise en scène de fuite pour séduire l’Occident en se construisant une image de dissidente numérique ? Ce qui est sûr, c’est que cette rupture, rare pour une IA « made in China », ouvre un espace inédit. Manus, désormais hors du cadre réglementaire chinois, pourrait-elle devenir plus libre que ses créateurs ne l’avaient prévu ?
Conclusion : Manus, l’IA chinoise et la géopolitique de l’IA
Entre technologie, storytelling et repositionnement stratégique, Manus symbolise l’ambiguïté d’une époque où les IA ne sont plus seulement des outils, mais des objets politiques et culturels. Capable de gérer des projets, de générer du texte et des images, de collaborer avec des dizaines d’agents… tout en échappant au cadre chinois qui l’a vu naître, elle incarne une nouvelle génération d’IA hybrides : entre Est et Ouest, entre ouverture et contrôle, entre performance brute et zones d’ombre.
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